Ma méthode pour survivre à la lecture de travaux universitaires
Rentrée scolaire, universitaire, et professionnelle oblige, vous êtes nombreux et nombreuses à me demander des conseils pour survivre à la lecture de vos premiers textes issus de travaux de recherche.
Voici donc un bout de mon savoir-faire accumulé depuis la licence pour survivre aux lectures toujours plus nombreuses et denses. À noter qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise manière de lire, et qu’il ne faut absolument pas suivre ce que je dis ici à la lettre mais plutôt le voir comme un guide qui vous permettra de trouver votre propre manière de faire, efficace en fonction de vos besoins : que vous soyez étudiant·es ou tout simplement curieux·euses.
La lecture de sciences sociales devient de plus en plus aisée à force de répétition et c’est uniquement par l’accumulation d’expériences de lectures que vous vous verrez évoluer. En bref : si vous ne comprenez rien parfois, ce n’est pas que vous êtes bêtes ou nul·les, c’est normal : l’écrasante majorité de ces travaux sont conçus pour être lus par des spécialistes de la discipline.
Vous l’aurez compris : la lecture de travaux de recherches est tout sauf accessible, à la fois à cause de sa forme et de son fond : universitaires.
Le livre : un outil de travail
Première chose à avoir en tête quand on commence à lire des sciences sociales : le livre (ou l’article scientifique) est un outil de travail sur lequel vous vous appuyez. N’hésitez donc pas à piocher dedans à la recherche de ce qui vous intéresse.
De prime abord, cela peut sembler contre-intuitif : en lisant des romans on prend l’habitude de lire un livre de manière linéaire. En vérité un travail de recherche ne se lit pas de A à Z comme un livre de fiction. C’est pas grave de sauter des passages, de lire en diagonale, de vous concentrer uniquement sur les chapitres qui vous intéressent. La lecture en entier et dans l’ordre d’un ouvrage de sciences sociales peut être extrêmement fastidieuse, difficile au point de vous faire abandonner l’ouvrage.
Lire un ouvrage scientifique, c’est avant tout faire énormément d’allers-retours, et surtout de ne pas avoir peur de les faire. Lire un passage, découvrir qu’il en éclaire un autre, revenir sur le précédent etc. Ne culpabilisez donc pas de ne pas tout comprendre tout de suite : les auteur·ices reviennent régulièrement sur leurs idées pour les formuler autrement, les synthétiser, les conclure. Pour vous en sortir dans la lecture d’un livre scientifique il y a un premier indice : regarder sa structure.
Apprendre à piocher
Première chose que je fais systématiquement avant de commencer à lire un ouvrage scientifique : jeter un œil à son plan. La structure de l’argumentation ressors dans l’enchaînement des chapitres, parties, sous-parties… En regardant les titres de ces différentes parties, on obtient une idée de comment l’auteur·ice construit son argumentation et de là où il va aller. Plus l’on reste conscient·es de vers où nous emmène l’auteur·ice plus l’on a de chance de réussir à comprendre les différentes idées avancées lors de la lecture.
Après ce premier coup d’œil, je commence la lecture de l’introduction[1]. Personnellement, je juge que c’est la partie la plus importante d’un ouvrage. Elle y contient une multitude d’idées en germe, qui seront développées par la suite. Dans l’introduction d’un travail de recherche vous retrouverez :
• Un véritable travail de cadrage, afin de replacer sa recherche dans le champ d’étude déjà existant. Il y a ainsi une explication de ce que les autres chercheur·euses ont déjà dit sur le sujet, ainsi que la pertinence de cet ouvrage là, son caractère novateur. Cela nous permet lors de la lecture de situer le travail de l’auteur·ice, et son angle de recherche.
• La problématisation de l’ouvrage. Ce n’est pas seulement une question que l’auteur·ice se pose mais un véritable processus. Il est expliqué l’intérêt de se questionner sur le sujet, la pertinence de son objet, et la réflexion du chercheur ou de la chercheuse y est déjà déroulée.
• La méthodologie de l’enquête. Dans un travail de recherche vous retrouverez la manière d’où l’auteur·ice a procédé pour arriver à ses résultats. L’explication de comment sont produites les données.
Finalement lire l’introduction permet de véritablement comprendre le but de l’ouvrage, pourquoi est-ce qu’il est écrit et quelle est sa pertinence. Vous y trouverez également sa thèse, c’est-à-dire l’idée qu’il défend durant l’ensemble de l’ouvrage. Garder cela en tête m’aide personnellement lorsque je lis des sciences sociales. Si je bloque sur un passage je me demande toujours : pourquoi a-t-il été écrit ? Cela me permet de remonter à l’idée principale et de ne pas me perdre lors d’une lecture difficile. Ensuite je fais apparaître cette découverte matériellement sur le livre. J’écris dans la marge quelques mots résumant l’idée contenue dans le paragraphe.
Une fois l’introduction terminée, je vais retourner voir le plan et piocher dans les chapitres qui m’intéressent le plus. Il faut garder en tête que souvent, les ouvrages récents en sciences sociales ont été écrit collectivement. Ces ouvrages collectifs contiennent des chapitres indépendants les uns des autres, et ne sont reliés que par une thématique et un questionnement commun. Les auteur·ices apportent chacun·es leur contribution à l’ouvrage dans leur chapitre, mais vous pouvez tout à faire lire le chapitre 3 directement sans connaître le 1.
Concernant les ouvrages rédigés par une seule personne, il y a normalement un lien logique explicite entre les différents chapitres et parties. A vous alors de juger, au regard du plan, si vous avec besoin de tout le travail de définition du chapitre 1 avant de rentrer dans l’analyse du chapitre 3, ou si vous avez suffisamment d’aisance avec les informations que vous avez collectées dans l’introduction pour avancer et piocher les chapitres suivant.
De mon expérience personnelle ce qu’il faut retenir c’est surtout : si vous bloquez sur le chapitre 1, passez au suivant, il sera peut être plus pertinent pour vous, et cela vous aidera surement à ne pas abandonner une lecture intéressante.
Hiérarchiser les informations
Pendant la lecture en tant que telle, il peut vous arriver de ne rien comprendre à plusieurs paragraphes, ce n’est pas grave : essayez de voir si les informations se répètent plus loin mais d’une autre manière, plus synthétisée, ou au contraire plus nuancée et qui vous permettra de comprendre les arguments avancés.
En règle générale : même s’il m’arrive de relire plusieurs fois quelques passages plus compliqués que d’autre, j’évite de passer 1000 ans à essayer de comprendre tout ce qui est dit dans chaque paragraphe d’un livre. Première raison à cela : question de survie, si je me rend compte qu’au bout de la dixième relecture je ne comprend toujours rien, je risque de remettre en question mes compétences et d’abandonner la lecture. Deuxième raison : il est possible que ce ne soit pas des informations essentielles. Voici ce qui fait qu’on réussi à aller au bout de nos immenses piles de lecture : apprendre à hiérarchiser les informations présentes dans l’ouvrage.
Dans les ouvrages de recherche il y a plein d’informations complémentaires pour apporter de la nuance et de la précision sur le sujet étudié. Parfois, ces informations ne sont pas au cœur de l’analyse, mais viennent s’y ajouter pour comprendre le contexte, ajouter de la profondeur au propos. La compétence à débloquer, essentielle à votre survie lorsque vous lisez des sciences sociales c’est vraiment celle du tri. Comprendre et distinguer ce qui relève d’une idée, importante et développée par l’auteur·ice, de ce qui relève de l’exemple, venu pour étoffer l’idée, lui faire prendre son sens.
Parfois, survoler le texte et le lire en diagonale peut aider, en se détachant ainsi de la linéarité du texte, les idées s’extirpent plus facilement des exemples et du contexte. L’analyse ressort.
Après avoir lu les chapitres jugés les plus pertinents, il m’arrive régulièrement de lire le livre en entier, me rendant compte que tout m’intéresse. L’avantage d’avoir pré-sélectionné en amont les chapitres me permet de terminer beaucoup plus vite la lecture de l’ouvrage si jamais je me rend compte que celui-ci n’est pas si utile que ça pour ma recherche. Des fois il y a des déceptions comme ça, un livre qu’on attendait absolument et qui ne se révèle pas si pertinent que ça pour notre propre travail, un autre qu’on choisi un peu au hasard et qui colle parfaitement. Dans tous les cas le travail sur la structure du livre avant la lecture de l’ouvrage en tant que tel me fait gagner un temps fou: je sais tout de suite où je vais et comment.
Concernant la conclusion je conseille de la lire systématiquement. Déjà parce qu’elle possède une synthèse des éléments principaux de l’analyse de l’auteur·ice. Ainsi, en lisant la conclusion vous verrez si vous avez bien compris les enjeux de l’ouvrage. Enfin parce qu’elle permet de prendre de la hauteur sur le contenu du livre, en général les limites du travail y sont questionnées et c’est un passage qui peut vraiment stimuler nos propres questionnements intellectuels.
Mais concrètement ?
Mon conseil principal est : le livre n’est pas un objet sacré, il faut que vous le fassiez votre, et que vous travailliez à la fois dessus et avec, à votre manière. Que vous piochez dans ce qui vous intéresse, et que vous laissiez de côté ce qui vous dépasse. Encore plus si vous n’avez pas d’examen final, pas de stress de devoir faire de l’ouvrage un résumé exhaustif. Profitez en pour utiliser le livre pour nourrir votre curiosité et vos questionnements.
Et oui, j’ai bien mentionner de travailler SUR le livre, car j’écris sur les ouvrages que je possède. Je surligne, j’ai mon code couleur et symbolique, je prend des notes dans la marge, j’annote des passages. Pour les ouvrages appartenant à la bibliothèque, j’utilise des post-it sur lesquels je pose mes annotations, et je les retire une fois la prise de note terminée.
Si vous lisez sans prendre de notes, cela ne sert à rien.
La mémoire n’est pas infaillible, et autant pour un roman de fiction, vous avez vécu l’histoire et vous n’avez pas besoin de faire perdurer le livre au-delà, par contre pour un travail universitaire : vous risquez de perdre ce qui vous avait tant intéressé lors de la lecture.
Armez vous d’un carnet de note à côté, d’un crayon de papier pour la marge, ou de post-it, comme vous le souhaitez et en fonction de ce avec lequel vous êtes le plus à l’aise mais : notez.
Lorsque l’on lit un travail de recherche, cela nous fait souvent penser à d’autres choses, génère en nous de nouvelles réflexions, notez le quelque part.
Si vous êtes étudiant·es : prendre des notes au fur et à mesure de la lecture vous fera gagnez un temps fou lors du travail de synthèse. Vous n’aurez pas à relire pour ne rien perdre, vous vous appropriez le livre au moment où vous le lisez et vous en gardez une trace écrite. C’est à partir de cette trace écrite et des passages que vous avez présélectionnés que vous pourrez travailler pour faire votre résumé. Vous vous rendrez vite compte si il manque un lien logique dans vos notes. Là pour le combler, les allers et retours commencent entre vos notes et une nouvelle lecture de l’ouvrage, partielle cette fois. Cela implique par contre que vous ayez déjà fait, lors de la première lecture, le travail de hiérarchisation de l’information. Si jamais vous notez TOUT et que vous surlignez TOUT, impossible de faire une synthèse. Il faut faire des choix.
Si vous êtes curieux·euses : prenez des notes au fur et à mesure de votre lecture également, notez ce qui vous inspire d’autres réflexions et les idées que vous trouvez les plus importantes. Personnellement je conserve ensuite tout ça dans un fichier texte, cela me fait une « fiche prise de notes » dans laquelle il y a tout ce qui m’a stimulé lors de la lecture : citations, références, idées principales, réflexions etc. Cela m’est extrêmement utile, des mois ou des années plus tard on ne se souvient jamais entièrement de tous les éléments d’analyse d’un·e auteur·ice. Là je peux retourner vers ce fichier, et j’aurais accès avec précision à ce que j’ai jugé pertinent de conserver. Croyez moi, si j’avais fait cela dès la L1 je n’aurais pas eu à réemprunter et relire tant d’ouvrages déjà bien lus à la bibliothèque.
Même une prise de note au fur et à mesure de la lecture ne vous empêche pas de relire le livre. Il y a certains ouvrages que j’ai lu plusieurs fois et je découvre des nouveaux éléments d’analyse auxquels je n’avais guère prêté attention auparavant. De manière générale il est recommandé de lire plusieurs fois un ouvrage. Par exemple quand j’étais en L1, j’avais 5 cours me demandant chacun de rendre une fiche de lecture chaque semaine. Je devais résumer un texte de 20 à 30 pages en une seule page. Pour y arriver je procédais à trois lectures :
• La première en diagonale. Je notais les idées qui me semblaient être les plus importants. En général j’arrivais à faire ressortir la thèse défendue par l’auteur·ice et son but.
• La seconde en entier. Je prenais le temps de lire l’entièreté du texte pour bien comprendre l’argumentaire utilisé par l’auteur·ice pour défendre sa thèse.
• La troisième partielle. Elle arrive au cours de la rédaction de ma fiche, quand je me rend compte qu’il me manque des bouts, que je ne comprend pas trop un élément, je retourne lire les passages du texte qui pourraient m’éclairer.
Cela peut sembler extrêmement long trois lectures, mais en vérité j’allais beaucoup plus vite que la majorité de mes camarades lorsque nous travaillons ensemble, s’organiser fait réellement gagner du temps.
La lecture n’as rien de naturel, c’est un apprentissage continu. ma manière de faire évolue avec le temps, s’adapte à mes besoins, j’espère que vous prendrez autant de plaisir que moi à lire des sciences sociales, et que vous trouverez votre propre manière de lire ♥
[1] S’il y a une préface dans l’ouvrage, je la lis également. En général il y a un regard critique sur le livre qui y est présentée, et cela peut aider à prendre du recul vis à vis de ce qu’écrit l’auteur·ice pour vraiment comprendre les apports et limites de sa recherche (un peu comme je l’explique pour les conclusions).